Bienvenue dans cette lecture, j’espère que vous y trouverez des espaces assez grands pour y développer nos idées et assez serrés pour nous y retrouver.
T : celui qui se fait appeler thérapeute
P : celui qui se fait appeler patient
« Tenez Docteur, mes écrits et un faisan»
Mr B, 76 ans, me tend 9 carnets Rhodia de petit format et un faisan congelé. Une page par jour depuis notre dernière rencontre détaillant toutes ses journées : douche, récurage d’oreille (car cela diminue la « voix »), soupçons de vol sur l’aide- ménagère…
Mais commençons par le début, Mr B soufre d’une psychose et d’un caractère austère forgé par les coups. L’ensemble ayant fait osciller sa vie entre évitement (du travail, des activités, des femmes…) et méfiance ; achevant d’éloigner le peu de famille qui lui restait.
Malgré cela, comme tout humain, il suffoque du manque de relation : « c’est le vide dans mes poumons ». De toutes les tentatives de socialisation, n’a survécu que son aide-ménagère : la seule ayant su percevoir la soif de lien derrière la surveillance. Il m’a fallu beaucoup de questions solutionnistes avant de découvrir les violettes africaines (1) chez ce monsieur et de le trouver aimable. Il le sent, je suis touché par son histoire qui résonne avec d’autres histoires. Je sors donc de cette foule hostile qu’est son monde et il peut m’entendre. Maintenant, je peux lui proposer une tâche, qui ne sera qu’une réactualisation de cette nouvelle alliance (2). Ainsi, une demande d’action, de changement ne peut émerger que d’une relation (3) sinon elle ne fera qu’activer ce que l’on appelle parfois résistances, tentatives de solutions …
T : « Mr B … c’est important pour moi de mieux vous connaitre … dans ce sens j’aimerai que vous puissiez m’écrire chaque jour … tout ce qui est important et précieux dans votre vie … Oui … chaque jour … oui à moi bien sûr … »
Cette « lettre sur l’oreiller » (5) me semble la version la plus « pure » de la tâche d’écriture ; écrire pour faire de la relation. Après tout est ce que l’écriture n’est pas faite pour cela depuis la nuit des temps ?
Quand il revient en consultation, je lis et cherche « la première différence qui fait une différence ». Ainsi, je m’étonne de ce « changement de dentifrice », que nous épaississons et relions à sa capacité à se « faire plaisir », héritée d’une lointaine tante. Je valide ainsi la teneur émotionnelle et relationnelle de ses écrits.
Cette action d’écriture peut trouver son achèvement par ma reconnaissance ce qui permettra une nouvelle action : en l’occurrence demander à son aide-ménagère d’où elle vient. Si ce changement est reconnu, il pourra entrainer une nouvelle exploration relationnelle (3) … Comme un poisson qui saute d’un bain relationnel à un autre.
« Est ce que c’est ok de faire autre chose que de boire pour faire de la relation ? »
Mme T vient en consultation suite à son passage aux urgences, dans un vécu abandonnique, qu’elle traite habituellement par de l’alcool (restant fidèle à une vieille tradition familiale). L’urgence au changement crée rapidement l’alliance : nécessité
fait loi. De cet endroit se co-construit l’intention positive du symptôme (6) permettant l’obtention d’un mandat (2).
T : « Est ce que c’est ok ….que de faire autre chose …que de boire pour faire de la relation ? »
P : « … … … … oui … cela fait trop longtemps … oui »
T : « Supposons une échelle … 0 vous êtes esclave de l’alcool et 10 vous êtes libre vis-à-vis de l’alcool. A 10 vous faites quoi ? »
Nous entamons alors une séance d’hypnose avec un ancrage sur un geste : une passe au volley dans sa jeunesse. Ce geste passant par l’épaule, puis le coude, l’apaise.
T ; « Qu’est ce qui est important dans ce geste … qui est précieux ? »
P : « Faire du partage »
En plus, ce « geste solution » m’arrange car il est aussi en lien avec le problème de trop « lever le coude » ; la solution est dans le problème.
Nous convenons que Mme T élabore un kit de vie (7) avec tout ce qui lui est possible de mettre en place dans les vécus de solitude ; chaque solution étant reliée avec une personne (2) et à un barreau de l’échelle.
T : « si je comprends bien ce que vous me dite quand vous êtes à 3/10 c’est possible de faire ce geste qui vous lie à vos partenaires de volley ? »
P : « oui »
Puis elle évoque : cette chanson de Bob Marley en lien avec sa sœur et qu’elle met dans sa « playlist de secours », ce film partagé avec son groupe d’amies …
Nous testons chaque solution en imaginant les possibles échecs ou le pire moment de la semaine …
T : « Est ce que c’est ok d’écrire dans votre kit de vie cette solution et toutes les autres dont vous venez de me parler … cette musique … cet appel téléphonique … ? Et ce qu’il est possible de faire à 6, à 4, à 0 … ? »
Une nouvelle fois, pour que ce travail soit possible, il faut que le « faire face » ait été expérimenté dans le lien de la séance.
« Interdit de vous relire »
Mlle C, 17 ans, a fait une intoxication médicamenteuse volontaire suite à une rupture avec sa petite amie.
T : « Bienvenu … est ce que c’est ok si je m’assois ici (je rapproche ma chaise à la distance indiquée par sa respiration) … est ce que c’est ok si je vous pose une question sur … »
Je cherche à créer un espace relationnel capable d’accueillir sa liberté.
T : « Supposons que cet entretien vous a été utile, qu’est ce qui sera différent en sortant d’ici … ? »
P : « je n’aurai plus de passé… »
Elle évoque la séparation de ses parents quand elle avait 2 ans puis une garde alternée. Sa mère constamment alcoolisée, imprévisible, cette peur pour elle et son petit frère dont elle doit s’occuper. Un week-end où sa mère présente des violences, son père viendra les chercher. Une procédure de mesure d’éloignement est déclenchée et elle n’a plus vu sa mère depuis 5 ans.
De sa voix absente, j’écoute ce récit monocorde déjà connu de la psychologue qui la suit et lui demande s’il y a d’autre chose que je devrai savoir pour pouvoir l’aider. Elle pleure en reparlant de la rupture, puis évoque des « histoires » de 7 à 9 ans avec
son cousin de 6 ans son ainé, alors qu’elle était en garde chez sa mère, avec un épisode sur lequel aucun mot ne peut être mis et qui déclenche des sanglots.
Elle s’apaise avec des mouvements alternatifs et peut être la surprise de se rappeler que certaines relations peuvent accueillir le malheur sans se dérober. La lutte contre l’émotion cesse, la dissociation s’évapore dans la relation.
Nous convenons pour l’instant de savoir faire autre chose pour s’auto apaiser que de se scarifier, de vomir …
Elle se sent soutenue par Alice, et décrie un moment de fou rire ou elle la pousse sur un skate. Nous ancrons ce geste quelle teste avec succès sur une anticipation négative.
T : « Il me semble avoir gagné un peu de votre confiance ? Est ce que c’est ok pour que je vous demande quelque chose de très pas facile mais d’indispensable pour aller vers le mieux ?»
P : « Oui, j’en ai marre de toute cette merde »
T : « … En ce moment ce n’est pas facile … Comme un stock d’inquiétude … qui a surement de bonnes raisons … peut être un message à vous délivrer … y penser le soir ce n’est pas le moment car cela empêche de dormir … c’est pourquoi je vous demande chaque jour d’écrire toutes les images des problèmes … du futur (main vers l’avant) ou du passé (main vers l’arrière) … à quelle heure vous ferez cela …? » (8)
Chaque acquiescement est validé et amène une nouvelle précision de la demande avec le langage performatif de l’hypnose.
T : « le midi c’est très bien … avec quel crayon … sur quel cahier … ? (2) au kilomètre, des fautes c’est ok… des gros mots si besoin … ce n’est pas un roman … le roman ce sera pour après … pour décrire comment vous avez fait pour surmonter tout cela à vos futurs enfants …jusqu’à « marée basse » … tant qu’il y a des sensations, des pensées, des images désagréables vous continuez à écrire … à décrire. Chaque jour … de plus en plus de détail … de plus en plus intime car nous ne partagerons que ce qui vous semble utile …et le plus important … … … INTERDIT DE VOUS RELIRE »
Je rédige l’ordonnance :
- – Chaque jour
- – Au kilomètre
- – Jusqu’à marée basse
- – SANS SE RELIRE L’objectif de cette tâche d’écriture est de stopper la tendance ancienne à l’évitement et au contrôle. D’expérimenter le « faire face » et le lâcher prise dans le lien avec le thérapeute.
Interdire de se relire car ruminer, c’est tenter de répondre à des questions sans réponse. Une pensée qui ne s’arrête jamais, qui bégaye car elle ne trouve jamais de validation relationnelle ou de personne qui écoute à l’intérieur. A la séance suivante, elle me tend ses écrits. Je ne les lis pas et les pose sous ma main. Elle évoque la difficulté initiale puis la sensation d’apaisement qui apparait au fil de ce travail. Je recadre ce travail « la peur qu’on évite se transforme en panique, la peur à laquelle on fait face se transforme en courage » (8) et évoque une métaphore de faire face. Elle veut me parler d’un passage « honteux », que la relation peut maintenant accueillir. Elle entend les recadrages qui soulagent.
P : « Vous allez lire le reste ? »
T : « Si à un moment de ma vie j’ai besoin de me faire du mal ? »
Elle rit.
P : « Alors, vous allez en faire quoi ? »
T : « Que voulez-vous qu’on en fasse ? »
Elle regarde la poubelle.
Je lui demanderai de poursuivre ce travail et cette fois ci en l’autorisant à relire uniquement les phrases commençant par « je ». Elle sourit.
En retrouvant mon propre guérisseur
Mme G vient du Nigéria, avec ce parcours chaotique, entre la Lybie et l’Italie. Enceinte à la fin du périple, elle a accouché en France. Elle est envoyée par un médecin généraliste qui a fait l’Arepta. Au dernier moment, le traducteur n’a pu venir. La « thérapie » n’a pas besoin que les personnes racontent les histoires effroyables dont ils ont été victime car cela traumatise tout le monde. Nous tentons d’augmenter le sentiment de compréhension sans se laisser hypnotiser, happer par cette
« curiosité », qui sous couvert des meilleures intentions semble peu adaptée. Derrière cette histoire saturée par la maltraitance, court toujours cette problématique abandonnique, avec une grande méfiance du lien, vécu de longue date comme dangereux ou incertain.
Ne pas savoir, cela me va (de toute façon c’est toujours pareil) du moment que les gens se sentent compris et libre de partager ce qui leur semble utile. A maintes occasion, nous avons pu faire (il me semble) du « bon » travail avec des gens sans que l’on parle la même langue et/ou sans que je sache un seul mot du problème. Mais là … pas de français, quelques mots d’anglais, évitante du regard, terrorisée… Elle veut cependant me dire quelque chose, et je ne sais pas :
- si ce quelque chose est indicible comme dans un stress post traumatique
- ou, mais cela revient au même, impossible à dire dans le creux d’une relation qui n’est pas installée
- ou impossible à dire de part la limitation de nos moyens d’échange
- …
Mon impuissance se mêle à son désespoir, je n’arrive pas à rentrer en contact oculaire, à me synchroniser …Le tapping dans ce contexte et cette histoire saturée de violence masculine ne me semble pas adapté. Je m’approche un peu … à la limite marquée par sa respiration, cette feuille de cigarette entre abandon et intrusion qu’on appelle soutien, et je commence à faire du tapping sur mes genoux. Elle regarde. Je lui fais signe de faire pareil sur ses genoux. Cela semble ok … elle s’apaise au fur et à mesure que notre tapping s’accorde. De cette nouvelle relation, nous nous comprenons mieux et je peux lui demander, lui mimer… de m’écrire dans sa langue natale … toute son histoire.
A la consultation suivante, l’interprète est là et c’est plus confortable et aussi plus inconfortable…Elle sort son écrit, montre un passage et pleure. L’interprète dit : « elle dit « ce passage est vide » ». Elle est fixée, hypnotisée par le passage et nous entamons une nouvelle fois un tapping qui procure un apaisement et qu’elle achèvera seule à son rythme. Elle se sent capable d’écrire le passage manquant mais préfère le faire chez elle. Je lui redemande le même travail d’écriture mais chaque jour avec de plus en plus de détail en lui disant que nous ne partageons que ce qu’elle juge utile. La séance suivante validera sa capacité à « réhistoriciser » les blancs. Puis nous conviendrons que ma collègue poursuive le soutien.
Conclusion
Le travail d’écriture est une réactualisation de la relation et du changement initié en séance ; si rien de cela ne s’est créé, aucune tâche ne sera faite (hormis celle d’évitement du thérapeute). Relire (un peu) ne semble utile (et surtout faisable) que si l’alliance reste à établir. Il semble contre-productif de demander un compte rendu de la tâche car si elle a correctement été hallucinée en séance, elle n’a plus de raison d’être faite dans ce parcours de changement. D’ailleurs, comme on n’est pas à l’école, on peut se demander si le mot tâche a sa place ;on pourrait parler de proposition, de suggestions … Mais comme on est entre nous … peu importe, c’est l’intention qui compte.
Il existe de nombreuses autres façons d’utiliser l’écriture : le « carnet de bord » de G. Nardone, les lettres dans les thérapies narratives…
De nombreux dialogues peuvent être proposés entre le patient et :
- Le thérapeute (comme nous l’avons vu)
- L’émotion ou le comportement problème (lettre à la colère, au désespoir, à la plainte …)
- Les relations importantes vivantes ou mortes (le « club de vie » en thérapie narrative) : « écrivez ce que dirait votre tante sur cette situation … »
Ainsi, l’écriture pourrait apparaitre comme une externalisation du travail sur l’attachement ; une reprise de contact avec ces rencontres, ces parties de nous qu’on appelle ressource et pouvoir les faire de nouveau dialoguer entre elles. De ces conversations intimes ressourçantes pourront émerger des actions nouvelles permettant l’exploration du monde, le changement, l’adaptation … cette « zone de développement proximal » source de nouvelles rencontres … A moi aussi on a confié une tâche d’écriture, me reliant à ces personnes, ces maitres, ma familles … Merci de l’avoir lu.
Biblio
- Haley, J (1998) Un thérapeute hors du commun Desclée de Brouwer
- Vallée, A Manuel pratique de TOS. Satas
- Séminaire de perfectionnement en thérapie narrative J Betbeze 2021
- Fernyhough, C (2021) le dialogue intérieur Albin Michel
- Nardone, G Verbitz, T Milanese, R (2004) Manger beaucoup, à la folie, pas du tout Le Seuil
- White, M. (2009) Carte des pratiques narratives. Satas
- Dolan, Y Pichot, T (2010) La thérapie brève centrée sur la solution dans les services médico-sociaux. Satas
- Wittezaele, J.J Nardone, (2016) G Une logique des troubles mentaux Le Seuil
- Cagnoni, F Milanese, R (2017) Surmonter les expériences traumatiques avec la thérapie stratégique – Changer le passé Le Germe Satas
- Nardone, G (1996) Peur, Panique, Phobies L’esprit du temps